Les cahiers de doléances en 1789

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Exemple du cahier de Jarville

A la demande du roi Louis XVI, les communautés du Royaume de France sont invitées à écrire leurs doléances entre le 8 et le 29 mars 1789 pour préparer les Etats généraux du royaume. La communauté de Jarville se réunit le 12 mars 1789 et publie un document de 9 pages qui se termine par la certification ci-dessous du greffier Léopold Morot.

Ce document manuscrit de 9 feuillets est conservé aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle sous la cote 57B3

Cahier de doléances Jarville - note de fin du greffier
Certification du greffier Léopold Morot

Le 5 août 1788, le roi Louis XVI annonce pour l’année 1789 la convocation des Etats Généraux, assemblée des trois ordres composant la société : la noblesse, le clergé et le tiers état afin de résoudre la crise financière de la France en proposant des réformes. En janvier 1789, l’ordonnance et le règlement pour la convocation des Etats généraux qui devaient s’ouvrir le 5 mai 1789 à Versailles ne prescrivaient pas seulement l’élection de députés à cette assemblée mais encore la rédaction de cahiers de doléances qui sont des écrits où sont exposés les remontrances et griefs, les abus dont souffrent les classes de la société et les vœux et moyens pour y remédier .

En quelque sorte, cette permission donnée par le roi fut l’occasion pour les habitants d’exprimer les préoccupations de leur quotidien. Ce fut donc un exercice de participation généralisée à l’échelle de tout le royaume même si cela fut borné par les formes de l’organisation décidée par la monarchie absolue. L’organisation des espaces de débats se tint dans les villes et les villages, la commune en tant qu’institution n’existait pas encore. Les doléances exprimées au sein des communautés rurales comme Jarville furent synthétisées avec celles de la ville du bailliage dont elles dépendaient (Nancy). Le bailliage était l’entité administrative et judiciaire de base avant la Révolution.

Le déroulé des opérations de rédaction du cahier de doléances de Jarville

Le délai contraint pour réunir la communauté du tiers état de Jarville, pour procéder à l’élection des représentants chargés de l’élection des députés pour chacub des trois ordres ordre, et pour rédiger le cahier de doléances fut relativement court : du 8 au 29 mars 1789.

Les lettres données à Versailles le 7 février 1789 pour la convocation et tenue des Etats généraux du Royaume, les règlements annexes, ainsi que l’ordonnance du bailli de Nancy (en l’occurrence Stanislas de Boufflers, chevalier) furent lues « au prône de la messe paroissiale le dimanche 8 mars 1789 à Heillecourt (à l’époque, Jarville relevait de la paroisse de Heillecourt) par Mr Drouville, curé « ; « Publications et affiches furent apposées pareillement le même jour au devant de la porte principale de l’église « ;

De suite (l’après midi), l’ assemblée de la communauté de Jarville composée  » d’hommes français ou naturalisés, âgés de 25 ans et plus, inscrits sur le rôle des impositions « fut convoquée chez Charles BIGOT, syndic de Jarville ; elle délibéra sur le choix des représentants pour l’élection des députés. « La pluralité des suffrages fut réunie en faveur des Sieurs Joseph BIGOT, Maire de Jarville et Dominique HOGARD,élu de la municipalité du même lieu » en vue qu’ils se rendent à l’assemblée prévue le 30 mars 1789 devant Monsieur le bailli d’épée et portent le cahier de doléances de Jarville (pour le tiers état).

Le procès-verbal de ladite assemblée note que celle-ci « leur donne tous pouvoirs à l’effet de les représenter en ladite assemblée et pour proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’État, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du Royaume et le bien de tous et de chacun des sujets de sa Majesté. »

Comment le cahier de doléances fut-il rédigé ?

Le 12 mars 1789, « les Maire, syndic et habitants composant le tiers état de la communauté de Jarville sont assemblés dans la salle ordinaire de la municipalité pour procéder à la rédaction du cahier contenant lesdites doléances et plaintes, sur quoi tout un chacun des habitants présents ayant été invité et engagé à s’expliquer «.

Le déroulement de la réunion s’établit sous la présidence de Charles Bigot syndic.

NB – Le syndic est élu par la communauté alors que le maire exerce un office vénal (il a acheté sa charge) et est aussi agent du régime seigneurial. Dans tous les cas, ces représentants locaux devaient savoir lire et écrire .

Il y a aussi dans les signataires un certain « Godellier, lieutenant du maire ». L’encadrement de personnes du pouvoir local et leur connaissance de la gestion des affaires de la communauté a certainement facilité les débats mais aussi pu influencer les orientations. Ils appartenaient à une hiérarchie sociale de gens de la terre même s’ils n’étaient pas tous propriétaires mais amodiataires ou fermiers pour le compte de seigneurs ou nobles . Certains membres de la famille Bigot furent fermiers pour le compte du chevalier de Boufflers (par ailleurs devenu bailli d’épée de Nancy comme précédemment cité) lequel avait en jouissance la ménagerie de la Malgrange et ses annexes.

Il est certain que l’exercice de rédaction déjà difficile dans un temps contraint ne fut pas aisé au regard du niveau d’instruction de l’époque dans une population affichée à 260 habitants – 60 » feux ».

Si lors de la discussion d’un contenu, chacun peut s’exprimer, la formulation des idées et et leur rédaction nécessitent de savoir s’exprimer en français et par écrit même si au final un greffier (Léopold MOROT) prête sa plume sous la dictée.

Nb Les constats qui ont été faits par rapport au poids écrasant des impositions présentent souvent des similitudes à la lecture des divers cahiers de doléances. Ainsi, comme le souligne Jean Godfrin en 1933 (1) analysant pour l’éducation nationale les cahiers des bailliages de Metz et Nancy, « il y a des similitudes entre les cahiers d’Heillecourt et de Jarville ». Le curé de la paroisse a pu servir de référent commun.
D’autre part sur le bailliage de Nancy, furent élaborés des modèles ; Aansi fut élaboré un guide par Adam Philippe, comte de Custines, maréchal des camps et armées du roi, partisan convaincu des réformes, devenu commandant pour la République de l’armée du Rhin puis celle du Nord.
(1) Jean Godfrin – Cahiers des doléances des bailliages des Généralités de Metz et de Nancy pour les états généraux de 1789, Tome 4, Cahiers du bailliage de Nancy, Librairie Ernest Ledoux, Paris, 1954.

Le contenu du cahier de doléances de Jarville

Le cahier de doléances ne témoigne pas d’un sentiment révolutionnaire au sens politique du terme ; Il affiche des sentiments de loyalisme et de déférence au roi « fidèlement attaché au Roy et à la famille royale pour laquelle la communauté de Jarville ne cesse de faire des vœux et se confiant sans réserve aux vertus et bontés de ladite Majesté… « 

Mais le cahier contient un plaidoyer ferme sur la situation de « misère »des habitants et en appelle au roi pour « faire cesser l’excessif des charges locales et publiques dont ils se trouvent accablés par l’injustice et l’inégalité de la distribution des charges et par les vices de leur répartition. »

«  Charles Bigot syndic municipal fait le détail des impôts dont tous les membres de la communauté jusqu’aux plus nécessiteux sont grevés depuis plus de 50 ans à la décharge et pour le seul profit de propriétaires privilégiés qui en sont affranchis « ;

« les impositions ont été portées pour les 3 laboureurs et 60 habitants chargés de famille à la somme exorbitante de 1563 livres, argent au cours de France, c’est à dire plus de deux tiers au-dessus de la somme que la communauté payait en 1713.

NB La référence à l’ère du duc Léopold sous-tend certainement une certaine nostalgie de l’époque où la Lorraine était indépendante de la France.

Un peu plus loin …

– »ladite communauté n’a aucun bois communal, ni portion, soit en terres, soit en prés ; elle a simplement tant pâquis que mauvaises terres dix huit jours dont le produit est modique et sert à payer la cire pour l’église et gages de maître d’école et blanchissage des linges d’église, etc » En outre, il est observé « que le seigneur en tire 1/3 »(droits seigneuriaux)

NB Des bois sis sur le territoire existent, mais ils appartiennent au domaine de la Malgrange, à des ordres religieux ou à des propriétaires privés, donc les habitants ne bénéficient pas de l’affouage , ne peuvent faire paître leurs animaux en vaine pâture et le droit de chasse est réservé aux nobles. Par ailleurs la présence de colombiers (cas de la Malgrange) interfèrent sur les semailles.

Suit encore une liste de remarques et plaintes : une énumération de charges et dépenses relevant de l’État et du gouvernement « incombent au pauvre peuple et seulement par le tiers état « 

-constructions et entretiens des routes et ponts, rémunérations des ingénieurs du corps des ponts et chaussées «  ne sont profitables qu’aux propriétaires et privilégiés »

-haras, Pépinière, fortifications de Bitche, casernes

Sont dénoncés les monopoles sur le sel et le tabac de la ferme générale, compagnie fermière qui se rémunère sur les contribuables en collectant les impôts pour le roi.

La communauté demande aussi « que dans tous les tribunaux, la justice soit rendue le plus promptement et avec le moins de frais possibles ».

Le cahier se termine par des remontrances de personnes qui ne se sont pas trouvées à l’assemblée du 15 mars 1789. L’une est particulièrement dramatique en faisant allusion à la génération perdue .

« une jeunesse triste et languissante qui couche dessus la paille et souvent point de pain ; Cette génération souffrante qui doit faire la force du royaume ne ressemblera jamais à ses ancêtres et ne peut produire que de triste événement ; Je prie Dieu et le Seigneur Roy d’en avoir pitié »

Le greffier certifie qu’il a coté et paraphé neuf pages le 29 mars 1789.