Rue Bürger

Jean-Pierre Thomesse – version du 20/07/2024

Vue depuis l'intersection avec la rue du maréchal GALLIENI. A l'autre extrémité, se trouve la gare de JARVILLE.

La rue Burger

La rue BURGER relie la rue du Maréchal Galliéni à la rue de la Gare. C’est une rue initialement privée qui était essentiellement habitée par des cheminots de la Compagnie de l’Est, dans des maisons financées sur le modèle de l’Association fraternelle des employés de chemin de fer fondée par M. BURGER. La rue BURGER honore donc un homme qui fut le fondateur au XIXe siècle d’une des premières assurances mutuelles et caisses de retraite. Peu de documents évoquent cet homme qui fut manifestement très discret malgré son œuvre remarquable qui sera évoquée un peu plus loin. Mais avant parlons de l’homme lui-même.
Le conseil municipal de JARVILLE reconnaît et valide l’appellation de cette rue le 15 février 1921, en faisant remarquer que cette rue est habitée « en général par le personnel de la compagnie de chemin de fer ». La formulation de l’arrêté indique que la rue avait été baptisée Rue BURGER par les habitants et reconnaît l’usage du nom, avant la décision de la municipalité.

Georges Charles Bürger

« BURGER », ou « BÜRGER » selon les articles, n’est souvent désigné que par son nom. Nous n’avons trouvé son prénom, Georges Charles[1] , qu’une fois. Et une information floue sur la date de son décès (deux ans après la création de son œuvre[2] , l’Association fraternelle, c’est-à-dire en 1882). Et c’est ce prénom peu courant qui nous a permis de retrouver sa trace dans les bases de données généalogiques qui contiennent des milliers d’articles BURGER ou Bürger.
Georges Charles BÜRGER est né à Strasbourg le 21 décembre 1835[3] Son père Jean-Charles BÜRGER, est âgé de 45 ans, et tailleur de profession. Sa mère s’appelle Eve Catherine FLECKSTEIN. Il est né au 68, Grand’rue, que l’on peut supposer être l’adresse de la famille. Les témoins sont Henri HAAS, âgé de 56 ans, farinier et Jonathan DANNER, âgé de 54 ans et épicier.

Noter, sur l’acte de naissance de Georges la signature de son père en écriture gothique préfigurant l’écriture Sütterlin.

Georges Charles BÜRGER décède à 46 ans, le 22 avril 1882, à PARIS. Il est inhumé[4] le 25 avril au cimetière parisien d’IVRY, maintenant dans le Val-de-Marne. L’acte de décès[5] précise son domicile, 14, rue Saint Louis en l’Isle, 4e arrondissement. Cette information est importante, car c’est l’adresse, à cette époque, du siège de l’Association fraternelle[6]. Ce qui nous incite à être quasiment certain que les informations concernant ce Georges Charles Bürger sont bien celles du fondateur de cette célèbre association.
Georges Charles a 46 ans au moment de son décès. Il laisse une famille. Il s’est marié le 19 février 1861 avec Charlotte Caroline MASSIN à Paris, comme le confirme la base Filae[7] et le registre de l’Oratoire[8]. L’acte indique que le mariage civil a eu lieu le même jour à la mairie du 4e arrondissement. Georges réside au 10, quai des Célestins, il est employé aux Ponts et Chaussées. Son épouse Charlotte est fille de Elisabeth MASSIN, demeurant rue Moncey, N° 4, à PARIS 9e. Le couple a un premier enfant[9], Charlotte Caroline Elisabeth, née le 26 septembre 1861 au domicile de ses parents, 20 quai des Augustins. Georges Charles est encore employé aux Ponts et Chaussées. Son épouse est âgée de 26 ans, et exerce le métier de couturière. Trois filles succèdent à cette première : Jeanne Clotilde BÜRGER née le 5 avril 1866 à Nogent-sur-Marne, Berthe Marie Louise BÜRGER, née le 1er février 1869 à Nogent-sur-Marne et Georgette Léonie Irma née le 14 janvier 1871 à Paris, rue Charles V. Georges Charles est alors dessinateur. Ce n’est que plus tard, mais à une date inconnue, que la famille habitera la rue Saint-Louis en l’Isle. Et y restera jusqu’à la fin des années 1880 comme l’indiquent des actes de mariage des deux premières filles. La famille déménagera plus tard pour habiter rue Saint Denis au N° 14, où décédera Charlotte MASSIN en 1894[10].
Georges Charles a donc quitté l’Alsace avant l’annexion par la Prusse en 1871, mais il opte pour la France par un acte[11] du 16 mai 1872 en mairie du 4e arrondissement, alors qu’il réside rue Charles V dans le 4e, et qu’il exerce le métier de dessinateur. La date d’entrée à la Compagnie de chemin de fer nous est inconnue.

L’Association fraternelle des employés des chemins de fer

Georges Charles BÜRGER est connu comme le fondateur, en 1880, de l’Association Fraternelle des Employés et Ouvriers des Chemins de Fer Français. Ses qualités nous sont essentiellement connues par l’éloge funèbre qui fut publié quelques années après son décès par le secrétaire général de l’association, dans le numéro du 1er novembre 1885 du bulletin de l’association [12]. Une société qui permit d’assurer à ses collègues un secours dans la maladie, et une ressource contre le dénuement dans la vieillesse. Il sut créer une structure qui « tout en permettant aux employés de faire partie de cette association sans craindre pour leur situation, il fallait aussi ne pas laisser croire que le but que l’on cherchait à atteindre, pouvait cacher un antagonisme contre l’ordre de choses établi ou une menace de revendication. … Il eut la joie le 16 novembre 1880 de recevoir la notification de l’arrêté préfectoral autorisant la constitution d’une Société qui devait prendre pour titre : « Association des Employés des Chemins de fer français ». Hélas, il ne devait pas jouir longtemps de son œuvre, ses forces étaient épuisées, la maladie vint s’abattre sur ce rude travailleur et après des alternatives de mieux et de rechutes, il fut enlevé à l’affection de sa famille et de tous ceux qui l’avaient connu. ». Il voulait surtout que l’association se distingue des syndicats et ne se préoccupe pas des revendications salariales ou autres.
La création de cette association ne semble pas avoir été de tout repos comme l’indiquent quelques articles [13] de journaux de l’époque. Au départ est constitué un comité de onze employés des compagnies de chemin de fer, délégués ou se disant délégués. Ce comité a pour but de créer une caisse libre de secours et de retraite pour tous les employés des chemins de fer français. Ce comité avait le 11 juillet 1880 décidé d’évincer son président Bürger, par un vote de sept voix contre deux. Et le secrétaire M POISSENOT déclarait que M BURGER était déchu de ses fonctions de membre du comité et que le siège social était transféré de la rue Saint-Louis à la rue Poissonnière. Mais M BURGER ne se laissait pas faire et réagissait. Finalement, le comité votait sa propre dissolution le 16 juillet et décidait la création d’une société provisoire, jusqu’à concurrence de vingt membres, qui gardait le nom d’Association fraternelle des employés des chemins de fer, et les objectifs initiaux. Le débat interne portait manifestement sur la notion de délégué des employés des compagnies, alors que les membres ne représentaient qu’eux-mêmes et que les adhésions étaient individuelles sans aucune notion de mandat de représentation.
Le 18 juillet 1880, les statuts étaient déposés en préfecture pour être agréés par le Ministère de l’Intérieur. Les deux acteurs principaux sont MM BURGER et LECLERC. L’agrément était obtenu par un arrêté préfectoral du 16 novembre 1880.
Il ne s’agit pas de la première société de secours en France, mais de la seconde. La première a été créée quinze ans auparavant dans le cadre de la compagnie du chemin de fer d’ORLEANS. C’est la Société de Secours Mutuel des Ouvriers et Employés de la Compagnie de Chemin de fer d’ORLEANS [14].
L’Association de Georges Charles BÜRGER est alors appelée (pour faire court) « La Fraternelle ». Elle est reconnue d’utilité publique le 12 janvier 1889 et au 31 décembre 1891 elle comptait déjà plus de 65.000 sociétaires. Pour en être membre [15] , il faut être Français ou naturalisé Français, être âgé de 18 ans au moins, et 45 ans au plus, présenter un livret d’ouvrier avec certificat justifiant de six mois d’ancienneté dans une compagnie de chemin de fer. Les cotisations sont constituées d’un droit d’entrée de 3 fr, puis mensuellement payer une cotisation de 1 à 10 fr pour la retraite, et pour le fonds de secours 0,10 fr par franc de retraite à concurrence de 0,50 fr maximum. Les versements de retraite sont calculés et mis à jour tous les cinq ans. La Fraternelle a en caisse à cette époque près de dix millions de francs
La première loi sur les sociétés de secours mutuels est publiée le 1er avril 1898[16], soit 18 ans après la création de la Fraternelle. Elle reprend dans l’article 1 du titre Ier les buts de ces sociétés, très proches de ceux de La Fraternelle, « assurer à leurs membres participants et à leurs familles des secours en cas de maladie, blessures ou infirmités, leur constituer des pensions de retraite, contracter à leur profit des assurances individuelles ou collectives en cas de vie, de décès ou d’accidents, pourvoir aux frais des funérailles et allouer des secours aux ascendants, veufs, veuves ou orphelins des membres des participants décédés. »
Ce n’est que plus tard que La Fraternelle se lance dans le financement de maisons « d’habitation à bon marché ». La loi du 30 novembre 1894[17] définit le cadre du financement de ces maisons et l’organisation territoriale avec les comités départementaux chargés de la gestion de la procédure. Un article [18] de l’Est Républicain fait la publicité de ce mécanisme. M LEROGNON, président de la commission des Maisons à bon marché de la section de Nancy y explique comment La Fraternelle participe à cette opération : « La Fraternelle peut prêter aux sociétaires à un taux minime, l’argent nécessaire à la construction des maisons dites « à bon marché ». Cet emprunt qui ne peut dépasser 12.000 fr au gré des sociétaires est remboursable en quinze, vingt ou trente annuités » …. Il continue : « La moyenne des locations en ville varie entre 30 et 35 fr par mois. Pour acquitter sa dette, le sociétaire doit verser à la Fraternelle une somme de 60 fr. Or la maison qu’il va faire construire lui permettra de loger un locataire. La somme à verser est alors entièrement couverte par les locations. »
Notons qu’à la date de 1908, les petites annonces [19] des journaux locaux montrent que pour 12.000 fr, il est possible d’acheter une maison à JARVILLE ou LANEUVEVILLE. Une annonce indique même, une maison à LANEUVEVILLE de 8 pièces avec un jardin de 600 m² pour 10.000 fr. Une autre annonce une petite maison bourgeoise, neuve, de 6 pièces avec un jardin pour 18.000 fr dans un nouveau quartier de NANCY.
Le 3 décembre 1911, la rue BURGER et ses maisons étaient inaugurées [20] en grande pompe avec le directeur de la Compagnie de l’Est, le secrétaire général de la Préfecture, de nombreux ingénieurs, inspecteurs. Deux fillettes Melle ESCHMANN, enfants d’un malheureux garde-frein tué peu de temps auparavant à VITRY LE FRANÇOIS [21] , accueillent les autorités avec des fleurs. M LEROGNON déjà évoqué, relate l’histoire de cette construction. Le terrain de 3.864 m² fut acheté frais compris 19.700 fr. 527 m² furent pris pour créer la rue qui a coûté 4.335 fr. La viabilisation, avec le gaz, l’eau de Moselle et la construction des maisons, l’association et les propriétaires ont engagé un capital de 150.000 fr environ. La plupart de ces maisons contient deux logements selon la recommandation de La Fraternelle. Même si l’article de l’Est Républicain cite les maisons à bon marché, les maisons de La Fraternelle n’ont pas pu profiter des avantages de la loi de 1894, compte tenu de la plus-value du terrain, du prix des matériaux, etc. Il est demandé de relever les maximas prévus par la loi …
La Fraternelle continue de se développer jusqu’à la création de la SNCF. La société de secours de la compagnie d’Orléans évoquée plus haut est devenue la Mutualité d’IVRY en 1948. Les années 1970 entérinent le rapprochement entre les deux premières sociétés de secours de l’histoire française pour constituer la MIF [22] (Mutuelle d’Ivry – La Fraternelle) en 1977.

Notes de fin de page

[1]https://www.mifassur.com/notre-histoire– Ce texte est le seul trouvé qui cite le prénom de Burger. MIF est un sigle pour Mutuelle d’Ivry – Fraternelle, résultat de la fusion des deux structures initiales.
[2]Bulletin PLM n°10 de juillet 1930 : Cinquantenaire de L’Association Fraternelle des Employés et Ouvriers des Chemins de fer français.
[3]Archives départementales du Bas-Rhin, acte N° 1872.
[4]Registres journaliers d’inhumation, Archives de Paris, 1882 pages 4/193.
[5]Archives de Paris 1882, acte N° 1407.
[6]Le Petit Parisien, 12 septembre 1880.
[7]Filae.com – relevés collaboratifs, registre protestant 1536-1897, L’Oratoire Paris, réf ark:/61903/1:2:96RV-TWF.
[8]Fonds ecclésiastique de Paris, image 100/401 acte 231.
[9]Archives de Paris, Registre 1861, acte 3117, page 549/734.
[10]Archives de Paris, 4e arrondissement 1894 acte N° 3091.
[11]Acte d’optant – disponible sur Généanet
[12]Léon HELLIOT, BÜRGER, Bulletin de l’association fraternelle des employés des chemins de fer, Première année, N° 6, 1 novembre 1885.
[13]Voir en particulier Le Petit Parisien 22 juillet 1880, 12 septembre 1880, Le Progrès de l’Est 27 juillet 1880.
[14]https://www.mifassur.com/notre-histoire
[15]Les employés et ouvriers des chemins de fer – La Dépêche 15 juin 1892, http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php?val=37_les+employes+ou
[16]Les lois sociales, Ed Eugène Ardant et Cie, Limoges, 1910 Gallica – BNF.
Bulletin des lois de la République française, N0 34303-Loi relative aux Sociétés de secours mutuels, Page 1056 et suivantes   https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k215058r/f1058.image.r=secours%20mutuel?rk=21459;2
[17]Journal Officiel de la République française, 1er septembre 1894, N°326, p5821 et suivantes.
[18]L’Est Républicain 22 août 1908
[19]L’Est Républicain, 30 juin 1908.
[20]L’Est Républicain, 4 décembre 1911.
[21]L’Éclair de L’Est, 30 octobre 1911
[22]https://www.mifassur.com/notre-histoire