Rue Varry

Jean-Pierre Thomesse – version du 26/07/2024

Vue depuis l'intersection avec la rue de la République.

La rue VARRY relie actuellement la rue des cinq frères GELLER à la rue de la République. Cette rue a été créée au début des années 2000[1] à l’occasion de la rénovation de l’îlot HEYMANN[2]. Mais une première rue VARRY apparaît lors du recensement[3] de 1901 à JARVILLE, où s’y trouvaient 16 maisons, occupées par 32 ménages et 128 habitants. Elle n’est pas citée dans le registre de recensement de 1896. Il est donc fortement probable que cette rue ait été construite et aménagée durant les dernières années du XIXe siècle. Il s’agissait d’une rue particulière, car sa reconnaissance comme voie urbaine de la commune, ne sera effective que lors de la séance du conseil municipal de JARVILLE en date du 9 novembre 1923. Par arrêté du Préfet de Meurthe-et-Moselle en date du 12 juin 1924, la rue particulière « VARRY » est classée au nombre des voies urbaines de la commune. Cette rue étant alors dépourvue de trottoirs, le conseil municipal du 9 juillet 1924 décide de la doter de bordures de trottoirs et de caniveaux.
En 1931[4] , la rue comporte 23 maisons, 56 ménages et 150 personnes dont une seule est indiquée étrangère, alors que les étrangers représentent, à cette époque, environ 10 % de la population de la commune, employés dans les nombreux ateliers et usines présents sur le territoire de la commune ou directement à proximité.
En 1936[5] , cette rue VARRY a disparu. Elle a été rebaptisée rue des cinq frères GELLER, pour honorer ces cinq enfants de JARVILLE morts pour la France durant ou consécutivement à la guerre de 1914-1918.

Charles Isidore VARRY

La rue VARRY à son origine, honore un homme, Charles Isidore, né en 1852 à MANDRES-SUR-VAIR (Vosges). Il arrive à JARVILLE avec ses parents vers 1870, la famille y est présente au recensement[6] de 1872. Elle se compose de WARRY François, le père, Raoul(x) Rosalie, la mère et WARRY Charles, en respectant l’orthographe de l’agent recenseur. La famille réside au 31 Grande rue, et partage la maison avec une autre famille. Le père exerce la profession d’aubergiste et Charles celle de sculpteur.
Charles VARRY crée rapidement une entreprise de menuiserie décorative « Au Chalet Lorrain » qui emploiera une quinzaine de personnes.

Le Chalet Lorrain était à la fois le nom de l’entreprise et celui du bâtiment hébergeant son siège social et les ateliers. Il était situé 71, grande rue, actuelle rue de la République, en face du Palais de la Bière, et a été démoli dans les années 1980. La renommée de l’entreprise démarre avec la production de lambrequins[7] pour décorer les volées de toiture.

 

Il complète sa production avec la décoration de balcons, et l’habillage de murs avec des ouvrages en bois découpe et sculpté. Le Chalet lorrain apparaît alors comme le « show room » en plein air du savoir-faire de l’entreprise.
Il va rapidement travailler en collaboration avec des architectes renommés. Les propriétaires de villas bourgeoises à Nancy adoptent cette décoration séduisante qui se répand jusqu’en Belgique.

L’entreprise réalise aussi des kiosques à musique, des gloriettes[8] , des pavillons de chasse ou de pêche. La technologie et la qualité artistique de l’usine sont récompensées par de nombreuses médailles dont, en 1909, à l’exposition de Nancy la médaille d’argent pour la conception du stand de l’imprimeur Bergeret, célèbre éditeur des premières cartes postales.
Charles a aussi été longtemps conseiller municipal et adjoint à la mairie de JARVILLE.

Les descendants de Charles Isidore

Charles Isidore et son épouse Caroline Clauss ont eu 8 enfants, quatre garçons et quatre filles. Un des quatre fils, Henri Raimond, meurt en bas âge, le dernier, Marcel François, soldat au 141e Régiment d’Artillerie Coloniale, décède en 1918 à 22 ans des suites d’une maladie contractée aux armées[9]. L’aîné, également prénommé Charles comme son père, est aussi ébéniste à JARVILLE ; mais c’est René, plus jeune de 9 ans qui reprend l’entreprise en 1918 et obtient plusieurs médailles d’or. Son activité est toujours présente au travers des menuiseries décoratives conservées en bon état par les propriétaires de nombreuses maisons à NANCY, en banlieue et au-delà.
René est aussi connu par les activités de loisir qu’il développe à JARVILLE, organisation de bals et de la fête patronale, animation et restauration à la Guinguette sur les rives de Meurthe au niveau du barrage de JARVILLE. Il s’investit également dans la gestion du club de football de la commune. Il y est associé de Robert PANTZ, fils de Charles PANTZ, autre grand industriel de JARVILLE, créateur des constructions métalliques PANTZ rue Kléber.

Charles, lui, est devenu célèbre par une autre activité, le sauvetage de la noyade de nombreux jeunes enfants et adolescents qui se baignent ou canotent sur la Meurthe au barrage de JARVILLE. Il reçoit d’ailleurs une distinction de la Fondation Carnegie, pour un sauvetage particulier en 1936. Son fils André sauvera lui aussi quelqu’un de la noyade, toujours au même endroit, quelques jours après que son père a reçu cette distinction. La tradition orale estime à plusieurs dizaines le nombre de personnes sauvées par Charles. Et nombreux encore sont les Jarvillois qui ont appris à nager avec Charles dans les années 50 et 60.

En conclusion, si la première rue était dédiée à Charles Isidore, on peut penser que l’actuelle inaugurée en 2003 honore non seulement le fondateur du Chalet Lorrain, mais la famille VARRY toute entière.

Noter que la rue VARRY dessert aujourd’hui la résidence appelée « la Gloriette » en mémoire aussi aux œuvres de la famille VARRY.

Les résidences de la GLORIETTE avec la rue de la République au fond.

Notes de fin de page

[1] L’Est Républicain, 13 juin 2023.
[2] Ilôt Heymann ; cette expression désigne le bâtiment de l’actuelle poste et les immeubles qui lui sont rattachés. Elle a pour origine l’ancien usage de ce bâtiment, qui était un magasin de meubles dit « Meubles Heymann » du nom de la famille propriétaire.
[3] Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Registre – Jarville-la-Malgrange-1891 – 1891-6 M 33/272.
[4] Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Registre – Jarville-la-Malgrange 1931 – 1931-6 M 33/272.
[5] Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Registre – Jarville-la-Malgrange-1936 – 1936-6 M 33/272.
[6] Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Registre -Jarville-la-Malgrange-1872 – 1872-6 M 33/272 p 6/16.
[7] Le terme « lambrequin » désigne une bordure à festons découpée ici en bois bordant un avant-toit.
[8] Le terme « gloriette » désigne un pavillon ou un temple à l’antique, situé dans un parc ou dans un jardin public.
[9] Mémoire des Hommes ;
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/base_morts_pour_la_france_premiere_guerre/resus_rech.php